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Imaginer et représenter le bonheur (Crisol, série numérique, n°4)

Responsables du volume : Françoise Aubès, Caroline Lepage

Publié le 22 février 2019 Mis à jour le 25 février 2019

Publication du Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines de l’EA Études Romanes


Le quatrième volume de la revue Crisol, série numérique, intitulé Imaginer et représenter le bonheur, a été publié.
 

Cette dernière livraison de CRISOL consacrée au Bonheur est le résultat du travail de recherche du GRELPP (Groupe de Recherche en Littérature, Philosophie et Psychanalyse) au sein du CRIIA-EA Etudes Romanes mené dans le cadre de séminaires puis d’une journée d’étude, qui se sont tenus à l'Université de Paris Nanterre.

La notion de bonheur, interrogation philosophique, par excellence, est devenue ces dernières années un sujet prioritaire, voire une véritable injonction dans nos sociétés postmodernes, où l'aspiration majeure est une sorte de nouvel hédonisme. Sa représentation prend diverses formes, lesquelles semblent tout particulièrement s'épanouir dans ces nouveaux espaces de communication que sont les réseaux sociaux ; ces derniers fonctionnent il est vrai comme une sorte de vitrine de ce qui pourrait être une certaine idée du bonheur pour quiconque poste sur son « mur » des images, des statuts, etc., toute une iconographie personnelle, croyant ainsi saisir cette notion si fuyante et nous dire : « Regardez comme je suis heureux ! ».

La recherche en littérature n'échappe pas à la grande rumeur du monde ; gageons d’ailleurs qu’elle l’accompagne, peut-être, parfois, qu’elle sait la précéder. Et les contributions de ce numéro 3 de la série numérique de CRISOL examinent une notion complexe et étonnement difficile à cerner, tant est riche le vaste spectre sémantique que le mot bonheur – en français – ou felicidad, dicha – en espagnol – recouvre, et cela dans des domaines variés : la littérature hispanophone et ses différents registres, la poésie, le théâtre, mais surtout la prose fictionnelle – roman, micro-récit, nouvelles, etc. – dans ses divers genres. Sans oublier le domaine historique ainsi que la peinture.

Le bonheur est d'abord une quête existentielle, utopique. Argument majeur de bien des romans, sa recherche exige d'entreprendre un voyage dans l'espace et dans le temps ; l'espace-temps des origines peut-être celui de la Selva, comme dans le roman d'Alejo Carpentier Los pasos perdidos (1953), qu'analyse David Barreiro Jiménez. Mais c'est aussi celui du retour vers l'enfance, ce topos habituellement lié au bonheur ou, du moins, à l'illusion d'un bonheur à jamais perdu. Illusion que l'Argentin Alan Pauls démonte dans deux de ses livres analysés par Graciela Villanueva. Le déplacement peut prendre des allures encore plus impressionnantes, comme celle du voyage intersidéral, quand on aborde la science fiction ; ce qu'explique Elena Geneau, en reprenant l'image des trous noirs, métaphore de la vertigineuse force d'attraction de cette quête universelle. Cheminement personnel vers Dieu, croyance en un monde harmonieux après la mort, pour le poète équatorien César Dávila Andrade, étudié par Caroline Berge, le bonheur est aussi indissociable du vivre en société, du vivre ensemble. C'est ce qui sous-tend l'univers romanesque du péruvien Edgardo Rivera Martínez dans País de Jauja (1993) ; pour Françoise Aubès, dans ce roman paradoxalement sans héros problématique, le bonheur se décline simplement au jour le jour pour l'adolescent Claudio, adolescent épris de musique, de culture grecque et andine à la fois. Le bonheur serait-il donc dans les Andes ? Hélène Roy interroge la figure de l'Inca à la tête d'un empire dont les sujets auraient vécu un bonheur collectif sans pareil. Elle montre comment s'élabore l'utopie andine selon une certaine lecture idéologique de l'Histoire. À Cuba, le point de fracture de 1989 marquant la fin d'un « passé parfait », la nostalgie d'une société égalitaire devient l'argument du roman noir Pasado Perfecto (1991) pour Caroline Lepage, qui décrit le désarroi de Mario Conde, héros de la série policière de Leonardo Padura.

De nombreuses contributions s'intéressent au bonheur au féminin, encore une fois indissociable d'un contexte socio-culturel. La jeune philippine Cándida, héroïne de La carrera de Cándida, roman de Guillermo Gómez Windham (1921), étudié par Emmanuelle Sinardet se laisse tromper par une certaine idée du bonheur au féminin, dont le modèle serait la femme américaine émancipée ; or, dans la société patriarcale philippine sous occupation étasunienne, ce chemin ne mène qu'au malheur. On retrouve le thème de l'utopie collective dans El país de las mujeres (2010) de la Nicaraguayenne Gioconda Belli. Le bonheur au féminin ou félicisme est une république des femmes où gouverne le PIE (Partido de la Izquierda Erótica), comme le montre Sophie Large. Contre-pied de cette république des femmes libres, tel est l'Ange du foyer, paradigme des vertus féminines à la fin du XIXe siècle, comme le rappelle la contribution de Sylvie Turc Zinopoulos dans sa lecture de Una vida sin mancha (1883), de María del Pilar Sinués.

Teresa Orecchia Havas, quant à elle, choisit d'explorer dans deux romans argentins contemporains ce double négatif du bonheur qu'est le malheur, comprendre la perte. Tandis qu’en analysant les excipit de poésies espagnoles contemporaines, Nuria Rodriguez Lázaro constate qu'il n'y a point de poésie « heureuse ». Claude Esteban, poète et traducteur y cherche pourtant le chemin qui mène à l’Arcadie, suivant la lecture qu’en fait Pascal Hermouet. Selon Béatrice Ménard, on retrouve le même cheminement vers le bonheur grâce à une sorte d’union cosmique avec la nature dans Todos mis poemas (1983) du poète espagnol Claudio Rodríguez. Si le bonheur relève d'une morale, il relève également d'une esthétique, celle du beau ; et pour le peintre Joaquin Sorolla, selon Lina Iglesias, c'est la fulgurance du blanc qui le traduit le mieux.

Ces communications offrent donc de multiples approches de la représentation du bonheur – amour, utopie, nostalgie. Individuel ou collectif, le bonheur serait donc cette ligne d'horizon inatteignable. Mais l'espoir de s'en approcher est ce qui caractérise le genre humain et donne naissance à ses plus belles expressions artistiques.


(d'après le texte de présentation de Françoise Aubès)

  •  Sommaire

David Barreiro Jiménez - Los pasos perdidos (1953) de Alejo Carpentier  : “La selva y la búsqueda de la felicidad”

Graciela Villanueva - La felicidad en La vida descalzo (2006) e Historia del llanto (2007) de Alain Pauls»

Elena Geneau - Los agujeros negros de la felicidad en relatos y microrrelatos de Marcial Souto, Eduardo Carletti y Ana María Shua

Caroline Berge - Bonheur et mysticisme dans les œuvres de César Dávila Andrade

Françoise Aubès -  L'écriture du bonheur dans País de Jauja (1993) de l'écrivain péruvien Edgardo Rivera Martínez

Hélène Roy - Le bonheur est dans les Andes : la figure inca aux frontières de l’histoire et de la fiction

Caroline Lepage - Mario Conde à la recherche du bonheur perdu

Emmanuelle Sinardet -  Du bonheur américain au malheur philippin : La carrera de Cándida (1921) de Guillermo Gómez Windham (1880-1957) »

Sophie Large - Le “félicisme” dans El país de las mujeres de Gioconda Belli

Sylvie Turc-Zinopoulos - Le bonheur possible dans le drame Una vida sin mancha (1883) de María del Pilar Sinués

Teresa Orecchia Havas - La pérdida de la felicidad en dos novelas argentinas contemporáneas

Pascal Hermouet - La question du bonheur chez Claude Esteban

Lina Iglesias - Le blanc ou la fulgurance du bonheur dans l’œuvre de Joaquín Sorolla

Nuria Rodríguez Lázaro - “El dulce lamentar de dos pastores”: apuntes sobre la felicidad en la poesía hispánica

Béatrice Ménard - La búsqueda de la dicha en Desde mis poemas de Claudio Rodríguez
 

  • François Aubès est professeure émérite au sein du CRIIA et spécialiste de la littérature latino-américaine (Pérou, roman de la ville, genre, histoire littéraire)
  • Caroline Lepage est professeure et co-directrice du CRIIA. Ses travaux de recherche portent sur la littérature latino-américaine, les littératures populaires, les littératures féminines notamment au Mexique, en Colombie et à Cuba. Elle dirige également le GRELPP - Groupe de Recherches en Littérature, Philosophie et Psychanalyse

Retrouvez le numéro sur le site de la revue Crisol



Mis à jour le 25 février 2019